vendredi 27 décembre 2013

Quand la solution est le problème

Paul Watzlawick est spirituel. Il est profond aussi, donc. On se sent moins bête en le lisant, en l'écoutant. Il nous rend moins bête qu'il nous trouve. Ou plus léger. Un peu moins lourd au moins. Ce qui est assez énorme. 
Par exemple : ce qui nous empêche de trouver la solution d'un problème est souvent un élément absent de son énoncé initial que nous avons inconsciemment ajouté nous-même. Dit-il.
C'est aussi juste qu'inouï. Un joli cadeau de Noël. Qu'on déballe sans attendre. Avec les dents. Et dont on se réjouit de faire grand usage. Avec les pieds, au besoin.
De ces cadeaux qu'on ne peut garder pour soi. 

mardi 17 décembre 2013

Western Haïku n°20

Ca sentait l'éther
La fille lisait des poèmes
Marlowe perdait pied

vendredi 6 décembre 2013

Western Haïku n°19

Il neige sur la plaine 
L'oreille collée sur le rail
Bill reste immobile




mardi 26 novembre 2013

Le désert des miroirs

Frederik Peeters
Frederik Peeters est mon ami. On ne s’est jamais vu, il ne soupçonne pas mon existence, mais c’est un ami de longue date, pourtant.
Frederik et moi nous posons les mêmes questions. Nous partageons quelques désirs et quelques peurs, il en fait des histoires, et moi, je les lis.
Le désert des miroirs, le troisième tome de sa série Aâma, est un beau titre. Alors je l’ai tapé sur le gros frère Google et j’ai appris que c’était préalablement le titre d’un roman de Max Frisch, auteur suisse (comme Frederik).
Max Frisch, c’est un bonhomme qui dit des choses comme ça : « Un cadre, que nous dit-il ? Il dit : regarde, tu trouveras ici ce qui vaut la peine d'être vu, ce qui n'est pas abandonné au hasard et qui n'est pas éphémère ; tu trouveras ici signification et durée, non pas des fleurs qui se fanent, mais l'image des fleurs, c'est-à-dire leur symbole » ce qui, sans chercher midi à quatorze heures, est une autre vision du temps vertical, une notion qui m’obsède passablement.
Il dit aussi d’autres choses comme ça : « La personne est une somme de différentes possibilités [...], une somme non illimitée, mais une somme qui dépasse la biographie. Seules les variantes montrent les constantes » qui fait furieusement penser à Smoking/No smoking et autres jeux sur le possible, les chemins qu'on prend ou pas, qui me parlent bien aussi.
Oui, dans les contrées affinitaires, tout se tient plutôt bien.
Si bien qu’en cherchant d’autres infos sur Max et Le désert des miroirs, j’ai fini par atterrir sur le blog que Frederik consacre à l'élaboration d'Aâma depuis trois ans.


Je ne connaissais pas l’existence de ce blog, Frederik et moi ne nous parlons pas de nos blogs respectifs puisque comme vous le savez, Frederik et moi ne nous connaissons pas. Bref, je voulais juste vous dire que je suis drôlement content que mon ami Frederik Peeters écrive des histoires.



vendredi 15 novembre 2013

Un morse sur la branche

J'ai toujours eu du mal avec les standards de jazz chantés, une curieuse difficulté à apprécier même leurs plus émouvantes interprétations.
Mais en écoutant pour la centième fois My funny Valentine (j'ai moins de mal avec celle-là, oui), je crois comprendre enfin pourquoi. Les mots me détournent de la voix. Épouvantails au milieu du chant, ils parasitent le sentiment.
J'entends la voix du trompettiste, mais seulement les mots du chanteur. 
Les mots sont un médium trop signifiant, ils ferment le sens, allument la lumière quand on se délectait de deviner le murmure dans le noir.
Ce que je cherche, ce qui me manque, c'est la voix de l'autre. Les mots, de toute manière, ils sont tous là, dans le dictionnaire.
Et puis, l'impudeur d'exprimer un sentiment exige un minimum d'inintelligibilité.
Vivent les croisements infinis des phrases à double-sens et les sens cachés des mots-valises à double-fond. Et les questions (comme celles de My Funny Valentine...).
Fuyons les déclarations, laissons les interprétations s'évanouir en tire-bouchon, gravons nos coeurs dans les codex, en latin dans le texte, et si, incapables de silence, nous prend l'envie de chanter, préférons le morse au rossignol.

samedi 9 novembre 2013

Mais quand même...

Un jour tu ne sentiras plus la chaleur de la douche sur tes épaules.
Ce jour-là ni les suivants tu ne sentiras plus le blanc du soleil à travers le rouge de tes paupières ni le grain du papier au bout de tes doigts ni l'acidité du vin sur la pointe de ta langue.
Un jour n'auras plus de corps pour sentir et tu ne sauras même pas que tu n'as plus de corps pour sentir.
Oui, bien sûr, je ne t'apprends rien.
Mais quand même...

jeudi 6 juin 2013

Western Haïku n°18

Les canards cancanent
Volée de flèches dans le ciel
Maudite eau de feu

mardi 7 mai 2013

Au commencement était la fin du ver


Le jeune homme répétait inlassablement son histoire à la mouette, mais le volatile ne voulait rien savoir. Il faut dire que tout ça n'avait ni queue ni tête : le chardonnay, Samantha, son écharpe perdue, l'arrivée de la police et cette nuit sur le banc. Les cris de l'un et de l'autre n'arrangeant rien. Et puis la méprise. Lui pensant qu'elle en voulait à sa bouteille alors que l'animal lorgnait sur le bout de sandwich collé sous les fesses du jeune ivrogne. Je les laissai là et m'asseyai un peu plus loin à côté de Morgan Freeman qui observait un pêcheur, avec les yeux d'un enfant au cirque devant un tour de magie. Et c'était d'ailleurs le cas tant la chorégraphie qu'exécutait le pêcheur semblait former une boucle parfaite. Mais pour la décrire, je dois bien commencer quelque part, et mon esprit conventionnel cherchant inévitablement un début au cours des choses me pousse à choisir la pose de l'appât sur l'hameçon (au commencement était donc la fin du ver) effectuée accroupi, la ligne posée au sol, d'un geste rapide et précis. Ensuite le lancer, mais un lancer sans amplitude manifeste, le vieil homme opérant un balancement naturel d'arrière en avant sans recherche de vitesse, mais dans un timing parfait, le poignet souple se cassant en fin de course avant d'accompagner la gaule au dessus du parapet dans un mouvement descendant, presque au ralenti. Le temps d'un regard sur l'onde, et l'homme cale avec précaution la canne dans l'angle des barrières, puis s'accoude à la balustrade, bras croisés. Après une trentaine de secondes d'immobilité, il se saisit à nouveau de la canne et, une dizaine de tours de moulinets plus tard, fait apparaître sous nos yeux ébahis un poisson argenté dont j'ai oublié le nom (pour être tout à fait précis, je l'ai demandé et fait répéter à Morgan, mais sans jamais pouvoir l'orthographier correctement mentalement, d'où cet oubli). Le vieil homme dépose alors l'albatros sans aile sur le pont et le plaque au sol d'un pied délicat et sûr. Le décrochage de l'hameçon est réalisé dans un seul geste, et après avoir été assommé d'un coup bref sur le bois sec, l'animal rejoint ses congénères dans le sac plastique épousant l'intérieur d'un sac en carton. Le temps d'hameçonner un autre appât, la boucle est déjà bouclée, et trente secondes plus tard surgit une autre virgule argentée. Morgan m'explique que le vieux chinois (je l'aurais pourtant pris pour un japonais) pêche toujours avec autant de succès quand le vent vient du large, comme aujourd'hui. Quand il souffle de l'intérieur, on trouve alors le sage homme à la pointe du boardwalk, avec sensiblement les mêmes résultats. Morgan ne pêche pas, lui, non. Il descend sur le port et regarde le pêcheur, le dos tourné à la ville. C'est tout. Et je suis bien ici, avec lui, prisonnier volontaire de cette boucle qui nous protège de tout. Oh, regarde, encore un poisson!

dimanche 5 mai 2013

Pourquoi la foudre

Pourquoi la foudre
Et d'abord, qu'est-ce que c'est ?
(Non, n'essaie même pas)
Pourquoi la foudre
Tombe-t-elle ici
Justement là
Le ciel sur terre en un éclat
Sur ce drôle d'arbrisseau vert
(Où l'insouciante grimpait hier)
En plein jour, mais c'était donc la nuit ?
Ca ne prouve rien, mais
On voyait la lune, et deux fois plutôt qu'une
Je crois qu'on entendait le vent
Ou, vraiment très loin, les pleurs d'un enfant
Et puis plus rien
Blanc
Sidération. Hache en plein front. Lumière. Eclair. Le mot avant le son.
Braoum. Combustion.
En torche. Ascension.
Après : le cœur en porcelaine, celui de l'éléphant
Squelette fumant, doigts de pieds brûlants
Calder noir pirouettant sur son axe
Epoux transi d'une éolienne (connue
jadis en Saxe)
Et puis des cliquetis, comme un moteur qui refroidit
Mais pas
Mais la chaleur toujours sous la terre
Encore
Pourquoi la foudre

jeudi 25 avril 2013

Garry Winogrand, SFMOMA

Garry Winogrand fait de la peinture improvisée. Avec la ville, avec les humains qui l'habitent. Et ce qui intéresse le plus les gris de sa gouache, c'est la peau des humains cernés par le bitume et l'acier. Ce qu'il cherche, c'est la vérité du mystère (évidemment), et quand il la touche, c'est toujours au bord du cadre, à côté, dans la marge. Ca souffle, ça vibre, ça vrombit ; ça dérape, ça crisse, ça tremble... Garry Winogrand, c'est du Eric Dolphy pour les yeux.

http://www.sfmoma.org/exhib_events/exhibitions/452
http://www.allmusic.com/artist/eric-dolphy-mn0000800100