vendredi 18 juillet 2014

Tragique

Elle est assise à la terrasse d'un café, devant un gâteau à la rhubarbe et un verre de vin.
Mais elle ne touche ni au verre ni au gâteau tant elle est absorbée par les Tragédies complètes de Sophocle.
Elle porte la beauté charnelle de ses vingt-cinq ans avec discrétion, sans la moindre fébrilité, et je reconnais opérer une vérification régulière de ce parfait tableau d'une si belle jeunesse.
Ce qui me conduit à remarquer assez rapidement que la jeune femme ne tourne jamais les pages de son livre. Déchiffre-t-elle Sophocle en grec ancien ? Apprend-elle un passage par coeur ? Dort-elle les yeux ouverts (comme la respiration lente de sa poitrine pourrait le laisser imaginer) ?
Une observation plus attentive, nécessitant un léger changement de point de vue, m'apporte bientôt la réponse : la jeune femme envoie des SMS depuis trente minutes, son mobile à l'abri dans sa coque choisie, reconnaissons-le, avec un goût certain.
Il est temps de régler l'addition et de retourner prendre ma place à la firme.