dimanche 22 mai 2016

Du rose




Ceux qui sont sauvés et les autres

- Bonjour.
- Bonjour.
- Ce matin en allant au lavomatic, j'ai croisé des chiottes roses abandonnées dans la rue. Mais bien placées. Pile au milieu d'un mur carré, sous un dessin de dragon volant.
- Ah.
- J'avais pris les poèmes de Carver pour patienter pendant le lavage, mais ça n'a pas été possible.
- Quoi ?
- De lire. Il y avait trois femmes. Enfin, une petite fille, sa mère et la grand-mère probablement. Tziganes, parlant roumain peut-être. J'avais posé mon livre sur un des sièges libres le temps de mettre mon linge dans une machine, et la plus vieille s'est assise dessus. Sur les poèmes de Carver.
- Ah oui.
- Oui. Bon, j'ai récupéré mon livre. Mais elles parlaient non stop. Et de temps en temps, sans raison particulière, la mère criait sur la petite fille. Des cris très brefs, très fort. La petite fille sortait alors la tête d'une machine pour aller la mettre dans une autre. Et ainsi de suite. Absolument impossible de lire.
- J'imagine.
- Mais bien sûr, ce n'est pas la question. C'est surtout que je me sentais agressé. Il est petit le lavomatic. Et c'est particulier de laver ses slips et ses chaussettes devant des gens. C'est un moment intime, quoi. Il faut un minimum de confort. De discrétion, plutôt. Bref, je suis allé marcher dans la rue. Mais il y a peu de monde sous la pluie le dimanche matin à 10 heures. Pas des gens très en forme, en tous cas.
- Des vies difficiles.
- On doit pouvoir dire ça, oui. Ca m'a fait du mal, mais ça m'a fait du bien, en effet.
- Relativement.
- Relativement, oui. 
- ...
- Je boirais bien un Chasse-Spleen.
- Vous aimez ce genre de vin, vous ?
- Non.
- De toutes façons, je suis pas caviste.
- C'est vrai.

mardi 10 mai 2016

Daydreaming

- Salut.
- Bonjour.
- On parle ?
- Je vous écoute.
- Ah oui, c’est toujours au même de s’allonger…
- Bah, c’est un peu le principe oui.
- C’est pas faux.
- Vous passez la nuit debout et vous venez vous allonger chez moi la journée.
- Moui…
- Vous passez pas la nuit debout ?
- Pas vraiment.
- Ah bon ?
- Bah…
- Je vous imaginais plus motivé…
- Bah j’ai le cul entre deux chaises, je suis un peu un bourgeois quand même.
- Oui.
- …
- Vous vouliez me parler de vous ?
- Non non.
- Vous êtes sûr ?
- Oui oui. Une autre fois peut-être.
- On regarde quelque chose ?
- Oui.

mercredi 4 mai 2016

La pizza et le grand coffre

Sur la place de Maussane, un petit garçon de 6 ans profite de la pause pizza pour prendre la parole devant ses amis (jusque là passablement excités) :
"Maria est morte. Quand on est mort on nous met dans un grand coffre et on met le coffre dans un trou. Après on le referme et on peut plus voir celui qui est mort. Et celui qui est mort il peut plus voir rien. Les parents aussi ils sont morts. Même les parents ils vont être morts. Tout le monde va être mort. Oui."
Les autres le regardent en silence, la bouche ouverte. La pizza refroidit, mais maintenant ils sont calmes.