lundi 31 juillet 2017

Mon cartable Concorde

Le cartable Concorde est mon deuxième cartable. Le premier était plus petit, en tissu je crois, de deux bleus différents, jean et bleu franc, avec des catadioptres orange sur les fermetures. Je le préférais, mais j’imagine qu’il fallait en changer. Et nous avons choisi celui-là. Je n’aimais pas sa matière plastico-cuir, et ce marron uni était trop sérieux, petit monsieur, je m’en rendais compte, mais j’aimais tellement le Concorde, sa finesse, son nez articulé pour dégager la vision du pilote au décollage et à l’atterrissage, ses ailes effilées, fuyantes, même à l’arrêt il fonçait comme une fusée. En vol, il atteignait Mach 2, deux fois la vitesse du son, ça me laissait sans voix, tempête dans un crâne pour se figurer un avion qui allait deux fois plus vite que son bruit. Le soir, en rentrant de l’école, avant d’ouvrir mon cartable pour commencer mes devoirs, j’avais toujours un regard pour son Concorde gravé. J’avais du respect pour ce cartable, il était moderne comme le Concorde. Le temps passe à Mach 2, au moins.

dimanche 2 juillet 2017

Ta main - 33



La caravelle et l'abricot


Une caravelle au milieu de l'océan, vingt mille pieds au-dessus ; déconnexion générale, mémoire en veille, agenda vierge, répertoire effacé. Deux jaguars ronronnent. Dans la cabine vide, la température dépasse à peine les vingt degrés ; à l'extérieur le monde s'incurve, aspiré dans le sillage de l'appareil, à moins qu'il ait simplement disparu. C’est là qu’il accède à la conscience, le poing droit délicatement fermé sur quelque chose, mais quoi. Il pense à un œuf qui aurait la texture d’un poussin. Il ouvre sa main, l'abricot qui repose dans sa paume est d'une douceur inouïe, vélin velours, peau de nouveau-né ; sa fraîcheur est surprenante, cœur de la nuit en plein midi, rosée qui ne s'évapore pas. Sa chair est pleine, pulpe gorgée que la maturité n'a pas assouplie, et le fruit musclé frémit sous les doigts comme une mélodie jouée à l'extrémité orientale d'un piano - là où les cordent vibrent en tension maximale.

samedi 1 juillet 2017

Tout est bien rangé


Sur la première vue, on aperçoit immédiatement deux voitures rouges garées l’une derrière l’autre, entre deux voitures bleues et trois blanches ; deux piscines, l’une du côté gauche de la route, bleu Klein, près de laquelle deux personnes cuisent sur un drap rose, et l’autre aux reflets bleu ciel, sur un toit d’immeuble, jalonnée de transats désertés ; parfaitement alignés, des arbres d’un vert presque fluorescent peinent à créer de l’ombre, il est midi, à une vingtaine de minutes près. Au pied de l’immeuble gris Lego, dans l’allée qui longe la pelouse à moitié brûlée par le soleil (on doit être à la fin du printemps), un homme est figé dans une position de course, impossible de dire s’il rejoint une amoureuse hors champ ou si ses pieds nus souffrent de la température élevée du sol. De l’autre côté de l’immeuble, on distingue une silhouette assise sur un banc, au niveau des bacs poubelles aux couvercles jaune, vert et bleu curieusement situés au centre de l’espace deux-roues. En s’attardant encore un peu, on note des arceaux où sont accrochés quelques vélos, dans l’axe du toit de la station-service Cepsa qui fait inévitablement penser à un empennage de flèche, et en bas de l’image, au centre, un chiffre 1 peint sur la chaussée, et c’est à peu près tout.
Sur la deuxième vue, qui fait voir plus loin au-delà de l’immeuble déjà présent dans la première image, l’impression demeure - même si la perspective apporte un peu plus de réalité - la ville vue du vingt-quatrième étage a des airs de maquette où les choses et les gens restent sagement là où on les a placés. Tout est bien rangé, au carré, dans l’ordre, sentiment de maîtrise totale, sérénité, pour un peu, on s’ennuierait.

Ta main - 32